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Le piqué du faucon 

Le piqué du faucon : entre vitesse et contrôle, science et imaginaire !

Le piqué ou plongeon est la chute aérodynamiquement contrôlée d’un oiseau. Ce comportement est particulièrement observé chez les grands faucons (par exemple : faucon pèlerin : Falco peregrinus ou faucon gerfaut : Falco rusticolus) et son but est d’atteindre de très hautes vitesses, probablement les plus hautes jamais rencontrées dans le règne animal. L’aérodynamique du piqué et son comportement ont surtout été étudiés et modélisés par Vance A. Tucker3, 4, 5, 6.


Le faucon et ses aptitudes impressionnantes

La trajectoire du piqué va de 15° sous l’horizontale à la verticale pure. Le faucon en piqué reploie progressivement ses ailes en gagnant de la vitesse de telle manière à ce que la traînée totale soit toujours infime3. Lorsque le plongeon approche de sa vitesse maximale, les ailes sont aussi rétractées que lorsque le faucon est perché.

Figure 1 : Allure typique d’un faucon en piqué3 (modifiée par l’auteur).

Les aptitudes impressionnantes du faucon pèlerin (Falco peregrinus) en piqué ont conduit à nombre de spéculations quant à sa vitesse, qui pourrait atteindre selon certaines observations les valeurs faramineuses de 500 km/h voire 600 km/h1, 3. En fait, la plus haute vitesse jamais mesurée avec une méthode de précision scientifiquement valable, connue et soumise à l’approbation de la communauté scientifique, est 209 km/h chez le faucon gerfaut (Falco rusticolus)4 qui est l’espèce de faucon théoriquement la plus rapide en piqué.

En aérodynamique, la résistance à l’avancement dans l’air encourue par un oiseau est appelée traînée. Celle-ci est la somme de trois composantes :

  • La traînée de profil de l’aile qui est la somme de la traînée générée par l’effet d’obstacle à l’écoulement de l’air, dite de pression, et de la traînée générée par l’interaction de l’air avec la surface de l’aile (en d’autres termes le comportement de la couche limite) dite de friction.
  • La traînée induite, induite car inexorablement associée à la création de portance par l’aile.
  • La traînée parasite qui est la traînée de l’ensemble corps-queue de l’oiseau sans les ailes.

La vitesse maximale en piqué d’un faucon dépend d’une part de sa capacité à minimiser sa traînée totale et d’une autre part de son poids ; en revanche son accélération est variable (supérieure à g = 9,81 m.s-2 au début puisqu’il bat des ailes puis diminue car l’oiseau est freiné progressivement par sa traînée). A vitesse maximale, les forces s’appliquant sur l’oiseau sont en équilibre, le poids (plus précisément sa composante projetée sur la trajectoire du faucon) est égal à la traînée. D’après une modélisation physique du concept de faucon « parfait »3 (de forme et de surface parfaites pour un record de vitesse, c’est à dire de traînée totale minimale), les faucons pourraient théoriquement atteindre des vitesses voisines de 360 km/h (100 m/s) ou plus (cf. Figure 2).

Mentionnons que le coefficient de traînée parasite est très bas aux vitesses hautes ; il est du reste estimé chez les rapaces en piqué5 à 0,1. De ce modèle, Vance A Tucker en tire un diagramme polaire permettant d’estimer la vitesse en piqué de tout faucon, théoriquement comprise entre deux courbes limites, l’une calculée pour le plus petit faucon pèlerin (tiercelet de 500g) et l’autre pour le plus gros gerfaut (forme de 2 kg).


Une vitesse parfaitement calculée

Figure 2 : Diagramme polaire de vélocité pour des faucons en piqué. Vz est la composante horizontale de la vitesse et Vxy la composante verticale. Les courbes représentent les vitesses terminales de piqué à traînée minimale pour des faucons « parfaits ». Les points noirs correspondent à des mesures chez des faucons gerfauts (Falco rusticolus) et les points blancs à des mesures chez des faucons pélerins (Falco peregrinus).1 (d’après 3, 4)

Cependant, atteindre de telles vitesses, si elles permettent des attaques plus rapides, plus violentes et rendent le rapace quasiment invisible à sa proie, n’est pas sans risque. En effet le faucon pourrait se blesser au buffetage de la proie, d’autant plus si cette dernière vole lentement, de surcroît les hautes vitesses diminuent considérablement la manœuvrabilité de l’oiseau et donc ses réponses aux esquivades, accroissent l’instabilité aérodynamique et peuvent nuire à la respiration et à la vision.3

Par conséquent il y a fort à parier que les faucons limitent leur vitesse en piqué de manière à garder le contrôle sur leur vol, comme le font vraisemblablement tous les oiseaux qui accomplissent des piqués2.

Le contrôle de la vitesse et de l’accélération se fait principalement en augmentant la traînée par divers mécanismes : ainsi le faucon peut sélectionner une vitesse privilégiée dont les mesures expérimentales sont toujours sub-optimales par rapport aux valeurs théoriques. La traînée de profil peut être augmentée en écartant légèrement les ailes, ce qui va de plus déployer verticalement la plume la plus émarginée, le cerceau. La traînée induite peut être accrue en modifiant l’angle d’attaque des ailes et en les courbant pour ne pas générer de portance3. Enfin l’oiseau jouera sur sa traînée parasite en redressant son corps, en déployant légèrement la queue et en sortant les jambes. D’autre part une augmentation de portance par extension des ailes permet aussi de contrôler la vitesse. En règle générale, toute altération de forme d’un oiseau peut potentiellement augmenter sa traînée totale lui permettant subséquemment de contrôler sa vitesse.

Figure 3 : Vue frontale d’un faucon en piqué. Les flèches montrent la direction des forces, la courbure des ailes empêche la genèse d’une portance verticale qui serait préjudiciable au piqué3 (modifiée par l’auteur).

Des limites biomécaniques existent cependant dans cette régulation car des forces s’appliquent sur les ailes et entraînent un moment qui tend à produire des rotations au niveau de l’articulation de l’épaule3. Toute régulation ou manœuvre par accroissement de l’envergure ou augmentation de l’angle d’attaque se fait donc dans les limites de ce moment de forces qui peut être relativement puissant lors des phases de freinage.

Nous conclurons ce bref exposé en soulignant que le faucon n’est pas un kamikaze prêt à tout pour émouvoir son maître fauconnier ; ses attaques, le plus souvent vouées à l’échec rappelons-le, restent dans une certaine marge de manœuvre et de sécurité et dans des limites imposées par la biomécanique et l’aérodynamique.

Hugues Beaufrère de l’Équipage Jean de Beaune

Références :

  1. Hedenström, A., (1998)
    The stoop of large falcons
    TREE, 13 p383-385
  2. Hedenström, A. and Liechti, F., (2001)
    Field estimates of body drag coefficient on the basis of dives in passerine birds
    J. Exp. Biol., 204 p1167-1175
  3. Tucker, V.A., (1998)
    Gliding flight: speed and acceleration of ideal falcons during diving and pull out
    J. Exp. Biol., 201 p403-414
  4. Tucker, V.A., Cade, T.J. and Tucker, A.E., (1998)
    Diving speeds and angles of a gyrfalcon (Falco rusticolus)
    J. Exp. Biol., 201 p2061-2070
  5. Tucker, V.A., (2000)
    Gliding flight: Drag and torque of a hawk and a falcon with straight and turned heads, and a lower value for the parasite drag coefficient
    J. Exp. Biol., 203 p3733-3744
  6. Tucker, V.A., Tucker, A.E., Akers, K. and Enderson, J.H., (2000)
    Curved flight paths and sideways vision in peregrine falcons (Falco peregrinus)
    J. Exp. Biol., 203 p3755-3763
  • Voir H. Beaufrère, La plume et le vol, thèse de doctorat vétérinaire, Lyon, 2006.
    Cette thèse est intégralement disponible dans la rubrique médiathèque du site internet de l’École Nationale Vétérinaire de Lyon : www.vet-lyon.fr .

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