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Quelques termes français de chasse au vol

Les Épithètes de l’oiseau de vol, d’un savoir-faire à un savoir nommer

Notre propos est de présenter quelques termes français de chasse au vol. D’aucuns pourraient croire qu’ils appartiennent à un passé révolu, tant la fauconnerie reste dans les esprits l’un des symboles censés avoir été balayés par les lumières de la révolution française. Mais « le feu qui semble éteint souvent dort sous la cendre ». Ainsi la chasse au vol renaquit en France dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les praticiens recherchèrent dans les traités réchappés des autodafés le savoir et les gestes ancestraux. Ils ressuscitèrent des mots qui leur ont survécu dans les paroles et les écrits des chasseurs au vol contemporains comme vivent tous les mots spécifiques aux choses belles et complexes. Le vocabulaire de la volerie puise sa légitimité aux racines de notre histoire,  il témoigne aujourd’hui de la richesse de notre langue et concourt, avec celui de la vénerie et des autres modes de chasse, à sa vigueur. Les mots que nous proposons sont extraits de la littérature spécialisée écrite entre les XVIe et XXe siècles.


Les oiseaux de proie utilisés en volerie, définitions et nomenclature

En terme de volerie, ou de chasse au vol, on nomme oiseau de vol,ou simplement oiseau,  tout oiseau de proie susceptible d’être affaité, c’est-à-dire duit ou bien encore dressé par l’homme, dans le but de capturer une proie sauvage dans son milieu naturel.

L’homme fît vite la différence entre les rapaces chasseurs et les charognards avant de comprendre le parti qu’il pouvait tirer des premiers1. Il a qualifié les chasseurs de nobles parce qu’ils ne se nourrissent que de vif, c’est-à-dire de viande vivante, les seconds étant gratifiés du sobriquet moins glorieux d’ignobles ou de vilains. Très tôt, les chasseurs au vol distinguèrent deux groupes parmi les oiseaux nobles : l’un composé des faucons, l’autre regroupant l’autour et l’épervier.

  • Le faucon commun (Falco peregrinus), appelé maladroitement faucon pèlerin par les naturalistes et les ornithologues qui ignoraient la signification que donnaient les fauconniers au qualificatif pèlerin, est le chef de file du premier groupe. Considéré longtemps comme le plus noble des oiseaux nobles, il a donné son nom à la fauconnerie, terme dont l’acception est fréquemment élargie à l’ensemble de la chasse au vol. A côté du faucon, les oiseaux utilisés en fauconnerie sont le gerfaut (Falco rusticolus), le sacre (Falco cherrug), le lanier (Falco biarmicus), le hobereau (Falco subbuteo), l’émerillon (Falco columbarius) auxquels s’ajoutent des bâtards2qui sont les résultats d’hybridations. Notez qu’en termes de volerie, on ne dit donc pas le faucon pèlerin, le faucon gerfaut, le faucon sacre, le faucon lanier, etc., mais le faucon, le gerfaut, le sacre, le lanier, etc. S’agissant des bâtards, le nom retient celui de l’espèce du pairon mâle, sacre bâtard, gerfaut bâtard, etc. Quand un oiseau n’est désigné que par le nom de son espèce, il s’agit toujours d’une femelle qu’on appelle forme. Ayant remarqué que les mâles avaient une corpulence estimée à un tiers de moins que les formes, les chasseurs au vol les ont appelés tiercelets. C’est ainsi que l’on dit un tiercelet de faucon, de gerfaut, de hobereau mais s’agissant des mâles du sacre, du lanier et de l’émerillon, ils sont nommés respectivement sacret, laneret et maslot.
  •  Les oiseaux du second groupe ont été limités pendant des siècles à l’autour, l’épervieret leurs mâles, respectivement le tiercelet d’autour, appelé simplement tiercelet par certains auteurs3, et le mouchet. La pratique avec ces oiseaux est l’autourserie4. Avec le temps, certains ignobles, ayant des habitudes mixtes, sont venus grossir ce groupe car leurs potentialités de chasse pouvaient être développées par l’affaitage5. Nous ne citerons que les aigles, l’aigle royal en particulier, et, depuis les années 1970, les buses américaines, essentiellement la buse à queue rousse (Buteo jamaicensis) et surtout la buse de Harris (Parabuteo unicinctus) qui n’a rien de commun avec notre buse variable (Buteo buteo) et que certains comparent, abusivement il faut dire, à un aigle en miniature. Pour simplifier le propos, les praticiens français parlent aujourd’hui d’oiseaux de haute volerie6 pour le premier groupe avec lesquels ils pratiquent la fauconnerie, et d’oiseaux de basse volerie pour le second groupe avec lesquels ils pratiquent l’autourserie, l’éperverie, l’aiglerie et la butéonerie7. Cette taxonomie, dictée par l’observation des spécificités anatomiques, fonctionnelles et potentielles des oiseaux, est importante car elle correspond à des pratiques très différentes de la volerie. La classification anglaise, qui n’obéit qu’à des critères anatomiques, est paradoxalement bien meilleure. Les Anglais retiennent trois groupes d’oiseaux de vol : les long-winged hawks pour les faucons à l’aile rameuse, longue et effilée, les short-winged hawks pour l’autour et l’épervier en raison de leur aile voilière saillante et courte, et les broad-winged hawks pour les aigles, les spizaètes et les buses, dont l’aile large en font de purs voiliers.


Les épithètes de l’oiseau de vol

Elles peuvent être regroupées en trois champs sémantiques : originel, descriptif, fonctionnel.


1 – Les épithètes originelles

La nature des oiseaux, leur origine, leur âge et la manière dont ils ont été prélevés dans la nature, sont des critères qui conditionnent leur éducation. A ces critères correspondent autant d’épithètes dont la particularité est de pouvoir être employées indifféremment comme adjectifs et comme substantifs. Elles renseignent avant tout sur l’âge des oiseaux au moment de leur capture. L’oiseau de volerie conserve ces qualificatifs tout au long de sa vie.

L’oiseau niais est celui que l’on désaire, autrement dit que l’on prend dans l’aire, qu’il soit en chemise, c’est-à-dire quand il n’a encore que le blanc qui est le nom que les chasseurs au vol donnent au duvet, ou qu’il soit noir, après avoir perdu le blanc8. Une variante de niais est trouvée sous la forme niard chez Guillaume Bouchet9. Ces deux formes sont passées dans le langage courant. Niais est utilisé comme adjectif dans le sens de “simple, encore sans usage du monde” dès le XIIe siècle, puis comme nom à partir du XVe siècle pour désigner une « personne dont le comportement sot et gauche est dû à un excès de simplicité ou à un manque d’expérience »10. Niard appartient plutôt au langage argotique pour désigner un enfant “accroché aux jupes de sa mère” et qui n’est pas attachant. Autrefois, certains éperviers et faucons niais, qui se révélaient exceptionnels au terme de l’affaitage, recevaient le qualificatif royaux11. Certains auteurs font de l’adjectif royal un synonyme de niais, sans référence à des qualités remarquables12.

Très rapidement, le poussin est sur le pied puis s’aventure autour de l’aire durant quelques jours avant de pouvoir voler. Si l’aire est rupestre, il est qualifié de rochier, si elle est arboricole, de branchier.

De rocher en rocher ou de branche en branche, de paroi en falaise ou d’arbre en arbre, le faucon et l’autour deviennent drus, c’est-à-dire suffisamment forts pour quitter l’aire. Ils apprennent le vol et la chasse à la conquête de leur autonomie. Cette période d’émancipation se poursuit durant tout l’été et le chasseur au vol qui piège un oiseau entre la mi-juin et la mi-

septembre lui donne le nom de gentil en raison de la grande facilité pour l’affaiter13. Gentil est à prendre également au sens plus général de noble pour qualifier un « faucon bien proportionné et bien affaité »14.

Puis, progressivement, l’oiseau quitte la région à la recherche d’un territoire propre. Il reçoit alors jusqu’au 31 décembre le qualificatif de pèlerin s’il est faucon, de passager s’il est autour. La dénomination de pèlerin est extrêmement ancienne puisqu’on la trouve chez l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen en 1248 dans son De arte venandi cum avibus,et en 1386 en Espagne dans l’ouvrage La Caza de las Aves du Chancelier Pero Lopez de Ayala15. Elle signifiait à l’origine que l’oiseau venait de lointains pays16.

Antanaire,qui signifie littéralement “de l’année précédente”, concerne l’oiseau que l’on capture en janvier, février et mars de l’année qui suit sa naissance. Ce mot est moins précis que les épithètes précédentes car il désigne aussi bien un oiseau pris après cette époque et jusqu’à la fin de l’année calendaire quand il a manqué sa mue, c’est-à-dire quand il présente un plumage juvénile que l’on dit sor. En fait, antanaire n’est plus employé que dans ce dernier sens. L’évolution du sens du mot passager,pour qualifier depuis le XIXe siècle tout oiseau pris entre le mois de juillet et la première mue, a d’ailleurs rendu obsolète également l’usage des termes gentil et pèlerin.

Capturé entre la première et la seconde mue, l’oiseau est entremué, mais là encore, cette expression fait double emploi avec un sens dans la description du plumage. C’est la syntaxe qui en donne la signification.

Passée la première mue, l’oiseau prend sa livrée d’adulte et n’est plus désigné que du nom de hagard, quel que soit son âge. Sous l’Ancien Régime, le terme de hagard était réservé aux oiseaux de vol capturés après la seconde mue17. Au delà de la seconde mue, il est difficile d’estimer l’âge d’un oiseau, même pour un praticien averti.

Enfin, il arrivait à des chasseurs au vol de capturer des oiseaux manifestement déjà affaités et retournés à la vie sauvage soit pour avoir été abandonnés, soit parce qu’ils avaient dérobé leurs sonnettes, c’est-à-dire faussé compagnie à leur maître. En l’absence de vervelles, petits anneaux que l’on fixait au bout des jets et sur lesquelles on inscrivait le nom du propriétaire, faute de pouvoir le restituer, ces oiseaux, baptisés oiseaux d’échappe, intégraient la fauconnerie de ceux qui les avaient repris18.


2- Les épithètes descriptives et morphologiques

Les anciens fauconniers attribuaient une importance considérable à la morphologie des oiseaux19. Aujourd’hui encore, certains chasseurs au vol cherchent des augures dans les proportions de la tête ou des jambes, la couleur du manteau ou les dessins du parement20. Ils ont tendance à préférer les oiseaux esclames, dont la silhouette élancée et longiligne est une promesse de légèreté et d’ardeur, aux goussauts, rablés et réputés pesants, moins aériens et, partant, moins habiles. La longueur des jambes n’est pas qu’un signe d’élégance ; son estimation permet d’imaginer la manière d’empiéter pour l’autour ou de lier s’il s’agit du faucon21. L’oiseau est dit bien-assis quand ses jambes sont harmonieusement proportionnées au reste du corps, haut-assis lorsqu’elles sont excessivement longues, bas-assis ou court-jointé dans le cas contraire. Le faucon doit être becu, pourvu d’un bec long et fort, car c’est avec le bec qu’il rompt le rachis cervical de ses prises22. La force expressive du regard de l’autour est due à un sourcil proéminent qui donne une impression d’enfoncement de l’œil. Quand cette particularité anatomique est bien marquée, on dit que l’œil de l’autour est capé. L’aspect et la qualité du pennage23 sont soigneusement analysés. La chemise est dense chez l’oiseau duveteux dont le duvet, qui est la plume menue qui couvre le corps de l’oiseau de proie, est abondant. L’idéal est que le pennage soit de couleur uniforme sur la tête, le manteau et jusqu’au bout de la queue, à savoir non bigarré de mouchetures, ce qui est « marque d’un oiseau de bon naturel et de bon service »24. On dit dans ce cas que l’oiseau est d’une pièce, ce qui s’observe fréquemment chez le lanier25. Il peut-être blond, surtout quand il est sor, entendez en plumage juvénile, et quand il vient des pays septentrionaux. Il devient ardoisé au fil des mues, quand sa couleur fonce et évoque celle de l’ardoise. Certains autours deviennent particulièrement sombres et sont qualifiés d’enfumés26. Le plumage peut être constellé de taches. Les taches blanches sont les égalures,les rousses, les aiglures encore appelées émaillures, ou haglures, les noires les grivelures. Les bigarrures ou taveluressont des taches de couleurs indéfinies ou variables, noires, rousses, brunes, etc. Ces dernières taches se confondent parfois avec la couleur du fond du pennage ; elles prennent alors le nom de mouchetures quand elles sont petites, de madrures lorsque leurs contours sont irréguliers, en carte de géographie. Selon, les oiseaux sont dits égalés, haglés, grivelés, mouchetés, ou madrés. Quand un oiseau présente des plumes sores disséminées dans sa livrée d’adulte, on le dit entremué. Cet adjectif est, comme nous l’avons déjà dit, à double sens.


3 – Les épithètes qualitatives et fonctionnelles

Ce sont les plus nombreuses. Certaines font référence à l’aptitude naturelle de l’espèce, d’autres à des critères individuels de potentialités, de qualités ou de défauts. On ne peut échapper à une énumération.
Les oiseaux de haut vol sont des rameurs, beaux ou bons voleurs. Parce qu’on les reprend au leurre, ce qui se dit leurrer ou rappeler, on les nomme oiseaux de leurre. Pour pratiquer le vol d’amont27, on les choisit légers, c’est-à-dire prompts à s’élever, hautains, tenant amont haut dans le ciel, de longue haleine, capables de longs vols et de longues poursuites. Pour cette chasse, l’oiseau de prédilection est le faucon que l’on qualifie de haute maille ou de grand travail quand il est remarquable. Il est à noter que cette dernière locution revêt un sens contradictoire selon les auteurs : pour le plus grand nombre, elle est synonyme de vif, courageux28, excellent preneur et voleur29, fort, persévérant30 ; pour d’autres, elle désigne plutôt un oiseau difficile, quinteux, écartable, nécessitant beaucoup de travail pour son affaitage31. Un bon oiseau est dit aussi de bonne affaire voire de bonne aire (qui a donné débonnaire dans le langage courant) lorsqu’il est facile à affaiter et à gouverner, royal, comme il a déjà été mentionné, s’il est niais de surcroît. Pour être propre à la proie, il est choisi bien armé du bec et des serres32.
Les oiseaux de bas vol sont des voiliers. Parce qu’on les reprend au poing, ce qui se dit réclamer33, ils sont nommés oiseaux de poing. L’autour et l’épervier en sont les représentants les plus caractéristiques. L’autour est habitué à chasser de guet dans la nature, autrement dit à l’affût, et l’on utilise cette propension naturelle pour le voler34 du poing. Volontiers débatteur ou tempêtatif35, il est entreprenant, rarement dépiteux ou déhaité de voler36. D’un naturel farouche, on lui donnait autrefois de l’entregent37 en le tenant à la cuisine ce qui lui valait le qualificatif de cuisinier. Ce nom lui venait autant de cette raison que de sa réputation à prendre un grand nombre de proies sur lesquelles pouvaient compter les cuisiniers pour établir leurs menus. L’épervier, d’une grande témérité, est hardi à la proie, capable d’entreprendre des gibiers disproportionnés par rapport à sa taille.

Une des qualités primordiales d’un oiseau de vol, c’est d’être de bonne compagnie, aisé à reprendre, autrement dit de bonne reprise ou de bonne créance. Les oiseaux écartables et libertins, qui dérobent facilement leurs sonnettes, ou quinteux, sujets à faire de grandes fuites, répugnent au rappel ou au réclam. Ces mauvaises habitudes s’observent quand ils sont trop hauts, c’est-à-dire gras et repus, ce qui les rend fiers, ou parfois de manière paradoxale quand ils sont familleux, bas et tenus par le bec, en mauvaise condition. Le chasseur au vol veille donc à garder son oiseau attrempé, c’est-à-dire en bonne condition de vol, ni trop haut, ni trop bas. Malgré cette précaution élémentaire, le réclam d’un autour qui arrête au buisson38 ou le rappel d’un bloqueur, faucon habitué à soutenir sur la remise39 où il vient d’enfoncer sa proie40, n’en demeurent pas moins aléatoires. L’imprégnation41, recherchée par quelques praticiens, est une des solutions pour fidéliser les oiseaux. Mais cette technique les rend souvent criards, ce que certains considèrent comme un vice fort odieux42.

D’autres épithètes sont employées dans des situations particulières, soit pour insister sur une qualité ou un défaut, soit pour indiquer une spécialisation. Béjaune est un substantif qui désigne un rapace, dont les commissures du bec sont encore jaunes, donc jeune et non affaité, mais qui est également une appellation de mépris pour un oiseau de vol mal affaité ou paresseux. Buffon fait du bec jaune un critère de rejet dans le choix d’un faucon43. Ce mot est passé dans le langage courant pour désigner un jeune homme inexpérimenté, novice44. Pillard s’applique à l’oiseau qui s’en prend à un autre oiseau de vol pour lui ravir sa prise, charriart à celui qui déplace sa prise pour s’en paître à la dérobée, fuyard à celui qui se sauve avec elle. Certains faucons spécialement créancés, c’est-à-dire duits à ne voler qu’un gibier, avaient des noms spécifiques. Tel oiseau mis sur le héron était dit héronnier, tel autre sur la grue, gruyer, tel autre sur la perdrix, champêtre, tel autre sur le canard, riviereux. Il faut noter que l’on ne trouve pas de nom spécifique pour les gerfauts ou les sacres employés dans le vol pour milan. Sous l’Ancien Régime, on appelait nonet un faucon héronnier ou gruyer que l’on mettait à un vol plus bas45, en général pour champs ou pour rivière. Pour que ces oiseaux, particulièrement âpres à la proie, car habitués à l’attaque d’oiseaux ayant de la défense, n’abîmassent pas leurs proies pendant la liaison46, on les apoltronissait, autrement dit on émoussait leurs avillons qui sont les serres des doigts postérieurs. Ainsi apoltroni, l’oiseau était qualifié de poltron. Ce terme employé dès 1558 pour désigner un homme peureux, lâche n’apparaît en fauconnerie que par métaphore à partir de 161847.


Conclusion

Il est de la première importance de connaître le vécu d’un oiseau avant d’entreprendre son affaitage car son caractère y est souvent inscrit, qui conditionne son éducation. Ainsi, s’il est aisé de comprendre qu’un faucon ne se gouverne pas de la même manière qu’un autour, il est plus subtil d’appréhender les différences de comportement, pourtant considérables, entre deux individus d’une même espèce et d’âges différents.

L’affaitage obéit à des règles fondamentales, traditionnelles et immuables, qui ont été dictées au cours des siècles en fonction de la nature de l’oiseau et de son histoire. Elles sont contenues dans des traités qui sont la mémoire collective de la volerie érigée en principes. Mais, pour réussir son mariage avec l’oiseau, l’homme doit dépasser l’application stricto sensu de la connaissance livresque. Il doit d’abord “apprendre les oiseaux” dans la nature et en captivité, marcher longuement sur les pas d’un maître, cultiver la patience, dominer l’impatience, abandonner ses certitudes, rester humble devant l’échec, chercher à l’expliquer sans jamais l’interpréter, et pour cela se garder de tout anthropomorphisme, travailler et travailler encore pour arriver à transcender la connaissance théorique, indispensable, par la pratique, l’esprit prenant avec les années l’ascendant sur la matière. Ayant beaucoup  appris, il lui faut enfin apprendre à tout oublier jusqu’à ressentir en soi l’intensité du vol, devenir un instinct plutôt qu’une raison.

Ce savoir, fruit de l’observation, de l’expérience et de l’enseignement écrit des maîtres anciens, se transmet par le truchement d’un vocabulaire riche et précis, forgé au cours des siècles avec des mots superbes et exigeants. Les épithètes attribuées à un oiseau de chasse renseignent sur son origine, son état, son caractère ou son comportement et dictent la manière de l’affaiter et de le gouverner. La chose paraît complexe mais elle est véritablement très simple. Paradoxalement, toute la difficulté réside dans cette simplicité. En ce sens, la chasse au vol n’est pas un banal loisir ni même une discipline mais véritablement un art. Au XVIIIe siècle, Delisle de Sales donnait du fauconnier cette définition merveilleuse : « Artiste qui dresse au vol les oiseaux de proie »48. Effectivement, seul celui qui a conservé un esprit d’enfance comprend que la volerie est avant tout un chemin.

« Bête et chasseur passent ensemble le gué d’une quatrième dimension »49. Cette phrase de Saint-John Perse illustre parfaitement l’état de la relation entre l’homme, arrivé à la maturité de son art, et l’oiseau. Le fauconnier rejoint l’oiseau, ce qu’il exprime à sa manière quand il dit : Je vole50.

Hubert Beaufrère de l’Équipage Jean de Beaune

1 L’origine de la chasse au vol reste très incertaine et il n’est pas aisé de faire la part entre la légende et la réalité. Il est probable que cette technique de chasse ait été pratiquée en Anatolie centrale dès le XXe siècle avant J.-C. (MAZOYER, M., « Le dieu de la chasse à l’époque des comptoirs assyriens en Anatolie et le dieu de la campagne à l’époque hittite » dans Bec et ongles – bulletin annuel des “Amis de l’Équipage Jean de Beaune”- 1999), mais nous n’en avons aucune certitude. Son introduction en Europe remonte vraisemblablement au IVe siècle de notre ère (VAN DEN ABEELE, B., La fauconnerie au Moyen Âge. Connaissance, affaitage et médecine des oiseaux de chasse d’après les traités latins, Paris : Klincksieck, 1994, p. 9).
2 Le mot bâtard désignait dans les traités médiévaux des variétés de faucons mal systématisées. Il était alors admis que, dans la nature, les différentes espèces de rapaces s’accouplaient (VAN DEN ABEELE, B., La fauconnerie au Moyen Âge. Connaissance, affaitage et médecine des oiseaux de chasse d’après les traités latins, Paris : Klincksieck, 1994, p. 68). Cette notion est explicitement écrite chez Ch. d’Arcussia (ARCUSSIA (D’), CH., La Fauconnerie, Rouen : François Vaultier et Jacques Besongne, 1644, I.26 p. 53). De nos jours, les bâtards sont les produits de l’insémination artificielle, certains fauconniers cherchant à réunir les qualités de deux espèces chez un même individu.
Pour l’ensemble du vocabulaire de la volerie, se reporter à notre ouvrage, Lexique de la chasse au vol. Terminologie française du XVIe au XXe siècle, Nogent-le-Roi : J. Laget, (Bibliotheca cynegetica, 4), 2004.
3 BAUDRILLARD, J.-J., Traité général des eaux et forêts, chasses et pêches, Paris : A. Bertrand, 1834, Troisième partie, « Dictionnaire des chasses ».
4 Sous l’Ancien Régime, le terme autourserie était employé indifféremment pour désigner la chasse à l’autour et, plus généralement, ce que l’on appelle aujourd’hui la basse volerie. De la même manière fauconnerie s’employait s’agissant de la chasse au vol dans sa globalité.
5 L’affaitage est le terme de l’art pour tout ce qui concerne l’éducation de l’oiseau, de la prise en main à la mise à la chasse en passant par l’apprivoisement, le dressage, l’introduction, c’est-à-dire le moment où on le vole pour la première fois en liberté.
6 Sous l’Ancien Régime, la haute volerie ou haut vol, devenue privilège royal sous Louis XIII, ne concernait que les vols du milan, du héron et de la grue. C’est à la fin du XIXe siècle, époque du renouveau de la chasse au vol, que cette expression a désigné l’ensemble de la fauconnerie (ce dernier terme étant pris dans son acception restrictive).
7 Avec l’arrivée des buses américaines dans le paysage de la volerie française, il a fallu trouver un nom spécifique en écho à autourserie, éperverie, aiglerie. C’est ainsi que nous avons proposé le terme butéonerie qui a été adopté en 2002 par l’Association Nationale des Fauconniers et Autoursiers français (A.N.F.A.).
8 ARCUSSIA (D’), CH., La Fauconnerie, Rouen : François Vaultier et Jacques Besongne, 1644, III. Ép.2 p. 126.
9 BOUCHET, G., Recueil de tous les oiseaux de proye qui servent à la vollerie et fauconnerie, Neuilly-sur-Seine : Altaïr, 1998 [Réimpression de l’édition de Paris de 1567], p. 113.
10 LENOBLE-PINSON, M., Poil et plume. Termes de chasse et langue courante. Vénerie, fauconnerie, chasse à tir, Paris – Louvain-la-Neuve : Duculot, 1989, p. 162.
11 CHENU, J.C., ET ŒILLET DES MURS, La fauconnerie ancienne et moderne, Paris : Hachette, 1862, p. 163 ; RODRIGUEZ DE LA FUENTE, F., El Arte de Cetrería, Mexico : Librería Noriega, 1986, p. 50.
12 Ainsi Goury de Champgrand au XVIIIe siècle (Traité de Venerie et de Chasses, 2e édition, Paris : Moutard, 1776, p. 150), et G. Foye au XIXe siècle (Manuel pratique du fauconnier au XIXe siècle, Paris : Pairault, 1886, p. 19).
13 ARCUSSIA (D’), CH., La Fauconnerie, Rouen : François Vaultier et Jacques Besongne, 1644, I.18 p. 30.
14 VAN DEN ABEELE, B., La fauconnerie dans les lettres françaises du XIIe au XIVesiècle, Louvain : Leuven University Press, 1990, p. 21.
15 RODRIGUEZ DE LA FUENTE, F., El Arte de Cetrería, Mexico : Librería Noriega, 1986, p. 9.
16 BELON DU MANS, P., L’histoire de la nature des oyseaux, Genève : Droz, 1997 [Fac-similé de l’édition de 1555 avec introduction et notes par Ph. Glardon], p. 116.
17 GOURY DE CHAMPGRAND, Traité de Venerie, et de Chasses, 2e édition, Paris : Moutard, 1776, p. 158.
18 LIGER, L., La Nouvelle Maison rustique, 9e édition, 2 volumes, Paris : Savoye, 1768, t. 2 ch. 17 p. 720 ; LA RUE (DE), A., « Dictionnaire des termes de fauconnerie », dans La vie à la campagne, Tome 11, 1866, p. 300. On trouve l’expression « oiseau d’échappée » au XVIIIe siècle (BUC’HOZ, P.-J., Les Agréments des campagnards dans la chasse des oiseaux et le plaisir des grands seigneurs dans les oiseaux de fauconnerie, Paris, 1784, p. 203-204).
19 BELVALETTE, A., Traité de fauconnerie et autourserie, Paris et Évreux : Pairault, 1903, p. 190.
20 Le manteau est l’ensemble des plumes du dos et des ailes de l’oiseau, le parement est l’ensemble des taches qui parsèment les plumes de sa poitrine.
21 On dit “les pieds” de l’autour et de l’épervier, “les mains” du faucon, “les griffes” de l’aigle, des buses et des ignobles en général. Quand ces oiseaux s’emparent d’une proie, on dit, pour l’autour et l’épervier, “qu’ils l’empiètent”, pour le faucon “qu’il la lie”, pour les ignobles “qu’ils la griffent”.
22 Le bec des faucons présente un décrochement saillant au niveau de la mandibule supérieure : la dent. Cette particularité anatomique leur permet de tuer les proies en leur cisaillant le cou. L’autour tue par striction, à la seule force des pieds.
23 Pennage est un terme de volerie pour désigner l’ensemble des plumes d’un oiseau, y compris le duvet.
24 POMEY, F.-A., Traité fort curieux de la vénerie et de la fauconnerie, (Texte français et allemand), Stuttgart : J. Scheible, 1886 [Réimpression textuelle de l’édition originale – Lyon, 1671].
25 LIGER, L., La Nouvelle Maison rustique, 9e édition, 2 volumes, Paris : Savoye, 1768, t. 2 ch. 17 p. 721.
26 BELVALETTE, A., Traité de fauconnerie et autourserie, Paris et Évreux : Pairault, 1903, p. 190.
27 Le vol d’amont est une technique de fauconnerie qui consiste à mettre le faucon sur l’aile à l’arrêt du chien et à ne faire partir le gibier que lorsque le faucon est haut dans le ciel, à l’aplomb du chien et du fauconnier, dans l’attente d’être servi.
28 SOURBETS, G. ET SAINT-MARC (DE), C., Précis de fauconnerie, Niort : L. Clouzot, 1887, p. 37.
29 ARCUSSIA (D’), CH., La Fauconnerie, Rouen : François Vaultier et Jacques Besongne, 1644, I.22 p. 39 ; SCHLEGEL, H. ET VERSTER DE WULVERHORST, A.-H., Traité de fauconnerie, Paris : Hermann, 1980 [Réédition de l’édition de 1844], p. 3.
30 LITTRÉ, P.-É., Dictionnaire de la langue française, Paris, 1872 et 1877.
31 MARTIN-DAIRVAULT, H., Le livre du roi Dancus suivi d’un traité de fauconnerie, également inédit, d’après Albert le Grand, Paris : Librairie des Bibliophiles, 1883 (Cabinet de vénerie, 6), p. 25 ; TILANDER, G., Traduction en vieux français de Dancus Rex et de Guillelmus Falconarius, Karlshamn, 1965 (Cynegetica, 12), glossaire, p. 62.
32 LA RUE (DE), A., « Dictionnaire des termes de fauconnerie », dans La vie à la campagne, Tome 11, 1866, p. 300.
33 Réclamer un oiseau, c’est le faire revenir sur le poing avec un morceau de viande, appelé pour l’occasion réclam. Quand on le fait revenir à l’aide d’un leurre, cela se dit leurrer ou bien encore rappeler.
34 On ne dit pas “faire voler un oiseau” mais “voler un oiseau”. En terme de chasse au vol, voler est aussi synonyme de chasser. On dit par exemple “voler le lapin”.
35 Tempêtatif, c’est-à-dire agité, battant fréquemment des ailes, cherchant à se libérer de la contrainte des entraves qui le retiennent.
36 Un oiseau déhaité est un oiseau rebuté, par exemple lorsqu’il connaît des échecs itératifs qui émoussent sa motivation. Au contraire, quand un oiseau vole avec entrain, on dit qu’il vole de bon hait.
37 L’entregent est le moment de l’affaitage où l’on porte l’oiseau parmi la foule, entre les gens, pour l’habituer à la présence du monde et de ses bruits. On dit qu’on lui donne de l’entregent. L’expression avoir de l’entregent est passée dans le langage courant s’agissant d’une personne habile dans la manière de se comporter en société, rompue à tous les bons usages du savoir-vivre.
38 Arrêter s’applique à l’autour qui est en position d’attente, à l’affût d’une proie qu’il sait être à sa portée mais qui se dissimule dans un buisson par exemple. Un faucon n’arrête pas, il bloque (cf. infra).
39 Bloquer ne s’utilise qu’en fauconnerie, et dans deux circonstances :
1) dans la situation précédemment décrite pour l’autour, quand le faucon a remis la perdrix et qu’il la tient à son avantage. On dit qu’il bloque la perdrix.
2) lorsque le faucon reste comme suspendu dans les airs sans battre des ailes, qu’il plane au dessus de l’endroit où s’est remisé le gibier. On dit aussi qu’il soutient sur la remise.
Dans ces deux cas, il est quasiment impossible de reprendre le faucon. Certains faucons qui prennent l’habitude de bloquer systématiquement reçoivent le qualificatif de bloqueurs.
40 Enfoncer, c’est obliger la proie à se réfugier en catastrophe à l’abri de la végétation pour échapper à son poursuivant.
41 Le sens que donnent les chasseurs au vol au terme imprégnation n’est pas aussi précis qu’en éthologie. Il s’agit simplement d’élever et de nourrir à la main un oiseau dès le stade de poussin de manière à développer chez lui certains comportements.
42 ARCUSSIA (D’), CH., La Fauconnerie, Rouen : François Vaultier et Jacques Besongne, 1644, I.9 p. 14.
43 BUFFON (DE), COMTE G., Histoire naturelle des oiseaux, Paris : Imprimerie royale, 1770, t. 1 p. 255.
44 Trésor de la langue française ; Grand Robert de la langue française ; LENOBLE-PINSON, M., Poil et plume. Termes de chasse et langue courante. Vénerie, fauconnerie, chasse à tir, Paris-Louvain-la-Neuve : Duculot, 1989, p. 41.
45 Un vol plus bas par opposition au haut vol (dans l’acception que l’on donnait à cette locution sous l’Ancien Régime : cf. note 6).
46 La liaison est l’action de lier (cf. note 21).
47 REY, A., Dictionnaire historique de la langue française, Paris : Le Robert, 1992.
48 DELISLE DE SALES, Dictionnaire théorique et pratique de chasse et de pêche, Paris : J.B.G. Musier, 1769.
49 SAINT-JOHN PERSE, Oiseaux, Paris: Gallimard (nrf), 2003, p. 150.
50 Chasser se dit voler en langage de volerie (cf. note 34).

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